Le toucher pianistique

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IV. INTERVIEWS RÉALISÉES AUPRÈS DE PIANISTES PROFESSIONNELS


B. Résumé des réponses à l’interview

3. Le toucher et le corps

• Le regard et le toucher

Le regard est évoqué dans le questionnaire pour évaluer s’il a une place dans le jeu pianistique.

Dany Rouet lui accorde une place dans l’enseignement : « Le regard permet d’aider à l’approche d’un problème technique[…] c’est une place qui peut compter dans le travail, pour aider à prendre conscience mais pas plus. »

Michel Gaechter dans sa réponse exprime clairement que, pour lui, le regard dans le jeu pianistique n’est pas une préoccupation : « Je n’en sais rien mais je n’y crois pas. Cela ne devrait pas. »

Dominique Gerrer va dans le même sens : « Pour celui qui joue, le regard n’a pas grande importance. ».

Avec Dominique Merlet, le rôle du regard est pour lui spontanément détourné du côté de l’auditeur, avant que ne soit posée la question sur l’existence d’une possibilité de voir le toucher : « Le regard c’est surtout pour l’auditeur. » Il poursuit ce sujet en disant que ce qui est visible, lorsqu’un auditeur regarde un pianiste jouer, n’est pas la partie la plus importante du toucher : « Pour les grands gestes oui, on les voit, mais une fois que les doigts sont dans le clavier, le legato, par exemple, cela ne se voit pas, cela s’entend mais ne se voit pas. »

Dany Rouet : « Je pense que l’on peut voir quelque chose de la périphérie du toucher en concert[…] Mais voir le toucher, non parce que c’est la représentation d’un son intérieur. »

Michel Gaechter : « Oui, mais par forcement dans ce qu’il a de plus efficace[…] Il y a tellement de possibilités dynamiques sur un piano moderne que vous pouvez jouer extrêmement fort, sans tomber de très haut, avec une petite course de la main, donc avec un tout petit geste. »

La position d’Amy Lin est plus tranchée : « Je pense que chacun des gestes du pianiste contribue à la sonorité de son toucher. Je ne pense pas que ces gestes soient perçus par les auditeurs. »

Dominique Gerrer complète encore, par sa vision, de ce qui se voit dans les gestes d’un pianiste : « Si l’on parle de celui qui écoute et voit jouer, là, on voit les mouvements, les gestes qui apportent l’expression, et cela se voit. Un toucher c’est personnel et les gestes également. » Cette réflexion ouvre sur une question importante qui sera traitée dans le cinquième point.


Le regard ne semble pas jouer un rôle important dans la pratique instrumentale des pianistes et n’occupe pas une place systématiquement dans leur enseignement.

Les gestes repérables par les auditeurs ne sont pas ceux qui assurent l’efficacité d’un toucher. Dominique Gerrer y ajoute la possibilité de percevoir une filiation entre les gestes pianistiques et la gestuelle spécifique à la personnalité de chaque pianiste.



• Le toucher, le geste et la sensation tactile

Les pianistes sont invités à dire s’ils ressentent le toucher comme un geste ou comme une sensation.

Nous résumerons en disant que les cinq pianistes privilégient la sensation, mais comme le dit Dominique Merlet : « Il y a forcément des gestes pour obtenir un certain résultat et donc à l’arrivée, sur le clavier, il y a une sensation. »


Les pianistes évoquent tous la complexité du jeu pianistique dans ses gestes techniques qui font intervenir les doigts, le poignet, le bras, l’épaule, le dos, les jambes, les pieds.

Dany Rouet : « Tout ce qui intervient en amont, appelons cela la sensation gestuelle : comment se trouvent le poignet, le coude, la manière d’être assis. Tout cela entre en ligne de compte, c’est une espèce de chaîne qui aboutit au fait qu’il est possible de développer, du bout du doigt, le toucher proprement dit. »

Dominique Gerrer : « Évidemment le toucher, c’est tout un ensemble de choses, il y a les bras, il y a tout le corps qui vient avec le toucher, mais c’est dans le bout du doigt que tout se concentre. » Amy Lin : « Pour jouer un pianiste utilise les doigts, les poignets, les bras, les épaules, le dos, les jambes et les pieds. Il est difficile d’écrire de façon précise ce qui intervient dans le toucher. Le geste n’est qu’une partie du toucher mais c’est lié à tout cela. »

Certains pianistes établissent une certaine relation entre un geste harmonieux et une belle sonorité, sans le poser comme une affirmation dans le discours, car après l’avoir dit dans l’interview, leur venaient à l’esprit, des exemples de pianistes très désagréables à regarder qui pourtant possédaient une très belle sonorité. Simplement il arrive que les deux se conjuguent et le plaisir visuel pour l’auditeur, peut s’ajouter au plaisir auditif… À moins qu’il ne l’en distraie ?


Cela permet d’évoquer une nouvelle fois, le travail de Marie Jaëll, qui a beaucoup investi le geste technique dans l’espoir de pouvoir palier à une oreille qui manquerait de finesse et aider ainsi l’apprenti-pianiste à acquérir néanmoins une belle sonorité. Par gestes techniques, nous entendons tous les déplacements qui entrent en jeu et qui sont enseignés dans la pratique du piano. L’écriture pianistique révèle les possibilités polyphoniques, « orchestrales » de l’instrument, et la technique est ce travail qui doit être fait et acquis sur les gestes qui permettent de vaincre les difficultés parfois acrobatiques rencontrées dans la littérature pianistique.

Michel Gaechter : « Je suis persuadé qu’il y a énormément de chemins pour arriver au même endroit. Parfois, on est obligé de prendre le problème à l’envers : partir du geste. »

Dominique Gerrer : « Je ne peux pas penser le mouvement avant d’avoir le son. Je crois qu’il faut faire attention à ne pas se perdre dans le geste. »

Dominique Merlet : « La méthode de Marie Jaëll m’a paru extrêmement compliquée. Pour moi, c’est comme si le mille-pattes, tout d’un coup, se demandait comment il fait pour avancer une de ses pattes et qui, du coup, ne pourrait plus avancer[…] Bien sûr la gestuelle se contrôle, s’apprend, mais il faut une gestuelle minimum : celle qui est nécessaire, mais pas plus. »

Dany Rouet : « Je ne pense pas que l’on puisse, à travers des gestes, enseigner complètement un toucher. Un geste, une manière de toucher n’a de sens que pour exprimer une idée musicale. »

La lecture des réponses évoque majoritairement une certaine réserve, une méfiance vis-à-vis d’un décorticage du geste, « pour ne pas s’y perdre » comme le dit Dominique Gerrer. Lorsque Michel Gaechter dit qu’il faut parfois prendre le problème à l’envers, c’est bien une façon de dire que dans l’ordre habituel, on part du son pour aller au geste et en cela il rejoint l’idée de Dominique Gerrer qui dit clairement que « ce qui est premier et qui conditionne le geste, c’est de savoir exactement le son que l’on veut entendre. »


Mais les gestes qui accompagnent une intention musicale, peuvent-ils constituer un repère stable ? Que se passe-t-il pour les pianistes concertistes qui ont parfois très peu de temps pour découvrir un instrument qu’ils joueront quelques heures plus tard ?

Tous les pianistes ont en mémoire de mauvais souvenirs à ce sujet. Ils définissent ce à quoi ils ont à s’adapter :

  1. -Une mécanique plus ou moins légère,

  2. -Une harmonisation souvent inégale du clavier,

  3. -L’acoustique d’une salle.


Chacun souligne la nécessité de très vite savoir s’adapter afin de trouver une solution rapide.

Amy Lin : « En fait je cherche toujours le son dans un piano, donc je ne pense pas à la façon dont je vais jouer du piano. C’est le son qui me guide, j’ai besoin d’un peu de temps pour trouver le son et je décide peut-être de jouer plus légèrement pour obtenir le son désiré. Mais il est vrai que c’est parfois difficile avec certains claviers d’ajuster le toucher. »

Dany Rouet : « Je pense que les ressources sont en chacun et la clé du timbre de chaque instrument, on peut la trouver en s’écoutant. »

Dominique Gerrer : « Quand on a un piano qui ne répond pas, il faut oublier les sensations habituelles que l’on connaît et essayer de donner l’expression de la même façon et il s’avère que l’auditeur fait aussi abstraction d’un son qui n’est pas très bon mais réel parce que l’expression et l’intention musicale ont su dépasser le matériel qui, au départ, n’était pas très bon. »

Dominique Merlet, évoquant son travail d’adaptation sur un piano Bösendorfer très inégal : « C’était une récompense car je m’étais donné beaucoup de mal, je n’avais pas joué comme j’avais l’habitude de jouer et j’ai dû changer tous mes équilibres. Il fallait beaucoup écouter, il fallait travailler le dosage. »



Nous dirons en conclusion de ce point, que ni le regard, ni le geste ne peuvent suffire pour acquérir une stabilité dans le jeu pianistique. À lire ces témoignages, nous constatons que les cinq pianistes trouvent tous leur solution dans l’écoute de l’instrument auquel ils ont à faire et cherchent la sonorité avec beaucoup de concentration. Ils sont alors obligés de renoncer aux sensations (et aux gestes situés en amont de ces sensations) qu’ils connaissent habituellement lorsqu’ils travaillent sur leur propre instrument. Cela nous amène tout naturellement au point suivant.



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